Le feu au lac

C’était à l’École d'Architecture de Bucarest, un de ces jours de début de projet ou les filles qui ont que de bonnes notes sont les seules a présenter des esquisses... et elles n’étaient pas nombreuses.

On était resté, trois potes, sans un traitre bout de calque d'études sur la planche, devant le prof. Puiu Lungu, paix à son âme, était LE prof. Pour moi, un guru... un modèle... un type sympa aussi... En tout cas, ce jour là, il n'avait pas grand chose a se mettre sous la dent.

« Puisqu'il n'y a rien a dire sur vos projets, dit-il, on va essayer de parler d'autre chose... »

Et on l'a fait. Serban lui a parlé de son fantasme de la mer, du voilier dont il rêvait, moi j'ai raconté que la mer me plaisait bien, mais que ce dont je rêvais était bien autre chose que de rôtir mon maillot de bain sur le sable, mais de me retrouver entouré d'eau salée, rien que d'eau... Fane, lui, je ne sais plus ce qu'il a dit...

"Vous savez, sur le lac, là ou mon gamin fait de l'Optimist... le club, ils ont un petit bateau habitable. Un voilier de 6 mètres. Il sèche sur son ber... personne ne s'en sert. Si ça vous dit, on le prend en charge. Vous poncez, peignez, vernissez, complétez l'accastillage. On le met à l'eau. Et moi, je vous apprends à manœuvrer."

Six mois et des weekends de travail plus tard, le bateau était rendu à son élément, et se dandinait gentiment au ponton, sur le Herastrau, devant le club de voile. Il y avait 5-6 autres voiliers, a louer pour les étrangers friqués. Et quelques 420, 470, un Flying Dutchman en bois moulé tout verni... et le notre, le plus beau !

Pendant que d'autres allaient jouer au bridge, au foot, ou juste boire des bières, nous, on était de corvée... sortir les voiles, les endrailler, envoyer la toile, bien caler le ravitaillement au fond des coffres... et on passait la journée sur l'eau. Sans moteur, des fois sans vent... sans le sou, mais du bonheur plein le cœur.

Et le soir, je lisais « Vagabond dans les mers du Sud », de Bernard Moitessier...